Dans le langage militaire français, l’appellation de « sentinelle dangereuse » (1) fut une forme de distinction qualifiant la promptitude à réaction vive, voire létale, d’un homme laissé à vigilance… Mémoire & réflexes. Pour la sauvegarde du camp. Bloody Carries © Gilbet and George Le critique Didier Arnaudet, étant allé sélectionner, « sur ordre », dans le fonds du CAPC musée d’art contemporain de Bordeaux, dont les premières réserves se constituèrent – riches intuitions et prémonitions – dès les années quatre-vingts, le voici avec une forme d’étalage documenté, engins d’art servant les hauts-faits et anecdotes remarquables du lieu, sur près de quarante ans. Arnaudet, critique bordelais et poète-allié, en connaît les recoins de soutes et ressources subtiles, sachant/préférant user du discret Lauras à l’envahissant Kiefer, par exemple. Allant piocher parfois dans d’autres fonds amis, par soucis de cohérence. Personne ne saurait ignorer que dans un temps et mouvement parallèle, le jeune FRAC, Aquitaine devenait habilement complémentaire des acquisitions du bâtiment amiral. Arnaudet, désigné volontaire sentinelle. Didier Arnaudet La tactique de présentation d’Arnaudet ne doit rien à G.-E. Debord, peut-être : elle est cependant tout aussi livresque. C’est sur les bases de textes explicites et amis – ou pas – qu’il ancre et éclaire chacune des quatorze (+ 3) alvéoles de ce parcours mémoriel. Ne se mouchant pas du coude, il choisit, pour y faire jour, des fragments de lumières chez Barthes et Guibert, Baudrillard et Derrida, Novarina et Quignard, Denis Roche & Serge Daney, par exemple. Le ton est donné. Parti-pris, subjectivité et stratégie bien ordonnés commencent par le regard sur soi-même. Arnaudet ne s’y trompe pas, qui ne flatte pas, résonne avec le son de Godard, l’un des rares moments acoustiques de cette mise en œuvre. « C’était trop petit pour faire un panorama légitime » dit-il. Il a donc procédé par « inter-collages et télescopages », cut-up et associations improbables, mais consenties, osées parfois. Dialogues for the time being for being © Hirakawa Niritoshi Il prend ainsi une paire de Buren datant de l’époque où ce dernier « peignait au pinceau », histoire de décalaminer les idées reçues, ou (et seulement…) une quinzaine des seaux chirurgicaux où Raynaud jeta des abats arrachés à sa légendaire maison-caveau-bunker. Un curieux triangle orienté vers le « Glas » de Derrida, glosant sur les restes. Ailleurs, c’est Georges Didi-Huberman qui illumine les noirceurs de Serra, les ferronneries de cénotaphes de Convert et anthracites de Kounellis. De l’audace, toujours de l’audace. La partition peut et doit dérouter. Ce n’est ni convenu ni convenable. Guérilla. Arnaudet installe en des positions incongrues des francs-tireurs : plein front et balles perdues, c’est la règle. Mario Merz ne touche pas toujours le cœur de cible et Gina Pane peine parfois. « Ah, Dieu que la guerre est jolie »… Des Zartistes Zinconnus sous les arches du Temple, et de Vieilles Gloires encombrantes. Nous connaissons le discours des tourmenteurs lacaniens de la vingt-cinquième heure. Ceux-là mêmes qui ne trouveront-chercheront pas le Boltanski caché « ailleurs », le Richard Long en évidence externe et autres diversions que Didier Arnaudet à pris soin de miner. Et cela jusqu’aux quarante bibliques portraits à emporter par le visiteur, trophée de papier dû à la vigilance de l’embusqué photographe Schlomoff. Le parcours semble difficile ? Non point : la seule heureuse victime, c’est l’art vivant. Cinq douzaines et demi de penseurs et artistes en Bataille, un absent au peloton. L’art de la guerre, puis les bourgeoises négociations. Vae Victis ! G.-Ch. R. The color wheel - 2011, Peter Halley (1) Une légende beauzartienne bordelaise prétend que le sculpteur-prof-passeur Bernard Creuzé fut, fin vingtième, de cette trempe là. « La Sentinelle, Conversations, dédicaces et autres partitions », préparées par Didier Arnaudet, dans le cadre des 40 ans, jusqu’au 8 décembre 2013, Capc, Bordeaux, www.capc-bordeaux.fr