Keramsi, sa cour sans miracle Atelier de Robert Keramsi Libourne, résidence provisoire du Centre Beaubourg ambulant. Et de Keramsi. Sculpteur d’humanoïdes à la manière du mythe ancien qui veut que le Créateur prit de la terre, de la glaise, du limon, ou de la boue de la Dordogne (« Le pays de l’Homme… »), qu’il souffla dessus et qu’il en advint la première humanité. Keramsi, chasseur à pieds nus dans la Rivière, ne fait pas autrement, il va quérir du pur sédiment dans les eaux mêmes, sur les berges que module le mascaret marin. L’emporte à son atelier, là, derrière la Brasserie de la Renaissance, près de la rue Montaigne : les dieux anciens de Fozera sont taquins, au point de sous-dimensionner systématiquement les créatures – des Golem réduits et inoffensifs, en théorie – qui sortent des mains de l’artiste. Le local grouille de ces effigies inactives, ces presque-vivants qui déjà se délitent, se desquament et s’écaillent aux quatre vents ou aux courants d’air de l’atelier rustique. Keramsi le veut ainsi, qui, après avoir modelé ou modulé les charpentes et enveloppes de téguments grillagés recouverts de glaise et de filasse, les laisse, souvent inachevées et béantes, se décatir, verdir et se faire prendre par des mousses et lichens qui flétrissent plus encore leurs allures décrépies. Une troupe, un groupe figé et disparate de figures féminines et masculines, goîtreuses ou boursoufflées, flasques et débiles de sénilité, qu’un Jean Rustin ou un Goya écœuré auraient laissés plantés ici. Asile ou hospice universel. Et c’est sans évoquer les quelques grands cercles métalliques qui «contiennent » des corps démembrés, déchiquetés, comme le roué régicide Damiens, tenaillé aux gras, lacéré et brûlé de souffre, pois et cires, enfin lentement écartelé, ce 28 mars 1757. Publiquement. Les autres figurines en semblent atterrées, mutiques de dégoût ou d’indifférence au monde des vivants. Pas une bouche ouverte, pas un cri esquissé. Le pathos des humiliés de cet ensemble a ce je-ne-sais-quoi des Calaisiens de bronze, montrés par Rodin. L’on vit à peu près ce spectacle, donné lors de l’exposition à la Base Sous-Marine Bordeaux, en 2009. Mais Keramsi est également tailleur de pierres, en frappe directe, ou bien il surveille la fonte en bronze de petits et grands formats. C’est aussi un dessinateur qui trace au calame (roseau ou bambou biseauté au canif) et à la plume métallique de grands portraits d’un noir profond, façon encre de Chine ou os calcinés réduits en jus fluides. Ça grince comme du Bernard Privat – Bèglais méconnu – et c’est tendre ou détendu, bien que ces visages inspirés de nulle part, ne soient guère plus riants que ceux de la Bohème montmartroise de légende. Cependant, un Éros croise parmi ce pathos de lambeaux et charpies. Alors, faudra-t-il dire que l’artiste semble plutôt joyeux luron, mais de cette rabelaisienne sagesse qui n’ignore rien des cruautés terrestres, de ses vilenies risibles et trivialités grotesques? Quelques collectionneurs, les Fradin et Moueix par exemple, ne s’y sont pas trompés, qui iront le revisiter au Château du Prince Noir de Lormont. Le nécessaire éclairage zénithal des œuvres y sera-t-il ? Autre mystère. par Gilles-Ch. Réthoré Robert Keramsi & Gilles-Christian Réthoré « Kéramsi, sculptures et encres » du 4 avril au 5 mai du mercredi au dimanche de 15h à 19h ; vernissage le 4 avril, 19h ; Château du Prince Noir, Lormont. Performance de l’artiste le jeudi 11 avril à 20h30 et le 25 avril à 20h30, chorégraphie de Léa Cornetti. www.chateauprincenoir.com et www.keramsi.com